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Ma Kaiyi

Ma Kaiyi


Ma Kaiyi est instructeur de Kung-Fu à Dali, Chine.
L'interview a été mené en Septembre 1998.

Ma Kaiyi

Guillaume Morel : Maître Ma, pouvez-vous vous présenter ?
Ma Kaiyi :
Je m'appelle Ma Kaiyi, je suis né le 9 mars 1939 à Dali, une ville de la province du Yunnan, en Chine populaire. Cette ville est située à l'Ouest du pays, à la frontière de l'Himalaya. Je vis toujours dans cette ville et y enseigne les arts martiaux chinois.

G.M. : Vous enseignez le wushu aux étrangers ?
M.K. :
En effet. En 1994, un français qui voulait apprendre les arts martiaux chinois m'a été présenté. Il est devenu un élève très régulier et très assidu et depuis, de nombreux touristes et étudiants, en majorité français et japonais me sollicitent pour des cours. J'ai eu plus de 400 élèves étrangers.

G.M. : Quand et comment avez-vous débuté les arts martiaux ?
M.K. :
En 1960, quand je suis rentré à l'école d'éducation physique et sportive de Kunming (NDLR : capitale administrative du Yunnan). J'étais trop petit pour le basket alors je me suis orienté vers le Kung Fu (rires). J'ai étudié le style de Shaolin avec Liu Jin Giu (branche Chan de Shaolin) et Cai Long Yun (branche Hua) qui était à la tête du département d'éducation physique de Shanghai. J'ai ensuite étudié le Wudan avec San Guo Zhen, un des tout premier professeur du célèbre Li Lian Jie (Note : Jet Lee).

G.M. : Parlez-nous de ces différents styles...
M.K. :
En fait les styles de Kung Fu issus de Shaolin se répartissent en 4 branches : Cha, Hua, Hong et Pao. Le dernier courant a un peu disparu. Le courant Hong a été créé par Hong Xi Gou qui assurait la protection de l'empereur. Le style Hua vient de l'école Jin Wu Men tenu par le célèbre Huo Jin Wu. Li Lian Jie est issu de ce courant, par exemple. Le Kung Fu de Shaolin est bouddhiste alors que le Wudan est d'origine taoiste. Le Wudan est une forme de Tai Chi Chuan basé sur l'énergie et le Qi Gong en mouvement. Le Tai Chi est souvent vu en occident comme une forme relaxante et de concentration mais c'est un vrai art martial qui comprend la stratégie et les attaques d'un art martial. Le Qi Gong se base sur une bonne oxygénation du corps.

G.M. : Quand avez-vous commencé à enseigner ?
M.K. :
En 1964, dès ma nomination au poste d'enseignant d'éducation physique. J'enseignais à la fois à l'université et à l'armée, en particulier aux espions de l'armée. A l'époque, j'enseignais le Kung Fu de Shaolin, un Kung Fu très rapide, très dynamique. Maintenant, à bientôt 60 ans, je préfère me consacrer au Wudan. Le travail sur l'énergie permet d'entretenir la santé.

Ma Kaiyi

G.M. : Comment sont les étudiants étrangers ?
M.K. :
Certains sont très nerveux et il faut leur apprendre le calme, et avec d'autres, c'est l'inverse, il faut les inciter à être plus vifs. Mais ce qui les caractérise tous c'est leur implication. Ils sont très studieux et n'hésitent pas à transpirer beaucoup pendant les cours (rires). Mon meilleur étudiant est une femme, une universitaire.

G.M. : Quelles difficultés particulières avez-vous avec eux ?
M.K. :
Le problème majeur est la barrière du langage. Il est difficile de savoir ce que l'étudiant pense et ce qu'il n'arrive pas à comprendre. Souvent, les étudiants prennent des photos ou filment le cours et parfois j'utilise cet outil pour montrer certains détails techniques.

G.M. : Quels conseils donneriez-vous à un pratiquant ?
M.K. :
Un des points important du Kung Fu, sur lequel il faut s'attarder, est la qualité technique. Puis, c'est l'expérience qui compte, c'est pour ça que le meilleur conseil est l'entraînement : s'entraîner le plus souvent possible. De plus, il est primordial d'avoir un bon professeur. Il faut essayer différents maîtres. Il y a beaucoup de tricheurs dans le monde des arts martiaux. Mais attention, si on ne comprend pas un professeur, il faut aussi être capable de se remettre en cause.

G.M. : Quelle est l'évolution actuelle du Kung Fu en Chine ?
M.K. :
Avant, il y avait beaucoup de compétitions entre les écoles de Kung Fu, et parfois elles se déroulaient jusqu'à la mort d'un des participants. Puis, le gouvernement a décidé d'endiguer cela. Les compétitions officielles se sont multipliées, avec des protections. Ca s'appelle le Sanda. Il fallait réduire les dangers pour les compétiteurs. Il y a aussi beaucoup de tournois de formes (Tao). Les compétitions se développent énormément ; il y a 26 provinces avec chacune leur équipe de Wushu. Il y a beaucoup de motivations pour remporter les championnats. Les véritables duels ont aujourd'hui disparu.

Ma Kaiyi

G.M. : Que pensez-vous de ce développement sportif vers la compétition ?
M.K. :
Il est sûr que la compétition limite les arts martiaux. Un art martial c'est pouvoir attaquer toutes les parties du corps. Si on limite les techniques, une personne de 100 kg sera plus forte qu'une personne de 50 kg. La boxe illustre bien cela. Mais certains aspects sont bons. Par exemple, les matches en 1 point véhiculent l'esprit de l'efficacité. Les familles de Kung Fu possèdent chacune des détracteurs et des partisans des compétitions.

G.M. : Comment est vu Lee Xiao Long (Bruce Lee) en Chine ?
M.K. :
Bruce Lee a réussi à allier des techniques issues d'arts très divers : les déplacements de la boxe anglaise, les coups de poings du Wing Chun, etc... Il a appliqué les théories de la physique de la mécanique aux techniques de base du Kung Fu. Bruce Lee a utilisé des mouvements de partout en enlevant ce qui n'était pas efficace. Il est bon de connaître les différents arts martiaux du monde entier pour connaître les différentes stratégies. Mais Bruce Lee est surtout devenu célèbre pour avoir fait connaître le Kung Fu du monde entier. Bruce Lee était très fort en coups de pied. D'ailleurs on peut voir l'importance du mouvement des hanches dans ses techniques. Il est primordial de s'attarder sur le travail des hanches.

G.M. : Comment traduiriez-vous Jeet Kune Do ?
M.K. :
Jeet Kune Do pour moi signifie bloquer la pensée de l'adversaire et rapidement finir le combat.

G.M. : Comment voyez-vous la pratique du Kung Fu ?
M.K. :
Le Kung Fu se base, comme la boxe, sur deux principes antagonistes : l'attaque et la défense. Ce genre de principe de dualité est issu de la pensée taoïste qui affirme que toute chose possède un contraire. La pratique est quelque chose de très personnel. Elle s'appuie sur l'imitation afin de ressentir et de réfléchir avec le corps. La pratique des Tao est importante pour cela. Je distingue 5 axes à travailler en Kung Fu : les jambes (il y a 72 coups de pieds, par exemple), les hanches, les bras, les épaules et l'énergie interne. Les étapes de la pratique sont de développer ces 5 axes au travers d'une pratique individuelle (Tao, enchaînements). Un Tao correct doit être expliqué dans une vue d'attaque/défense. Ensuite, il faut travailler des exercices avec un partenaire. Enfin vient le travail des armes. Il y a 18 armes différentes en Kung Fu. Je voudrais rajouter que la souplesse est une qualité première du pratiquant. C'est pour cela qu'il est préférable de commencer jeune les arts martiaux. De 8 à 14 ans il faudrait se focaliser sur la souplesse puis après 14 ans seulement, développer sa puissance.

G.M. : Au sein de ce qu'on appelle un peu abusivement Kung Fu en occident, on trouve de nombreux styles ?
M.K. :
Je préfère utiliser le terme famille plutôt que style en Kung Fu. En Chine, le Kung Fu est une histoire de famille. Les enfants commencent très jeunes. Chaque famille possède des techniques propres et certaines ne sont enseignées qu'à un nombre très restreint de personnes appartenant à cette famille. C'est le côté mystérieux du Kung Fu. Il existe plus de cinq cents " styles " de Kung Fu en Chine. On peut citer celui de l'aigle, de la mante religieuse, du serpent, du singe, la boxe longue, le Wing Chun -- qui vient de Shaolin --, ...

G.M. : Quel est le but d'une pratique martiale selon vous ?
M.K. :
J'ai pour habitude de dire que 70% des arts martiaux sont pratiqués pour la santé... 60 ans est l'âge pour comprendre le Qi Gong. La compétition fatigue le corps. Le Qi Gong c'est l'après compétition ou l'après combat du pratiquant, nécessaire pour récupérer, se ressourcer, pour une meilleure santé. Trop utiliser son énergie est mauvais. Trop la conserver aussi, d'ailleurs. Trop de puissance immédiate, un entraînement trop dur est dangereux ; Bruce Lee est peut-être mort de cela... Les arts martiaux c'est le combat, qu'il soit total ou sportif, mais c'est aussi prendre soin de son corps. Ces deux aspects forment le Wushu. Mon opinion personnelle est qu'il ne faut pas négliger l'aspect longévité, l'aspect repos du corps et santé que peut apporter une certaine partie de la pratique martiale. Mais attention, une mauvaise pratique du Qi Gong, par exemple, peut être nuisible.

Ma Kaiyi

G.M. : Vous avez entraîné des soldats de l'armée. Quelles sont les spécificités d'un tel entraînement ?
M.K. :
Les militaires ont besoin de techniques très efficaces permettant de finir rapidement le combat. Le travail avec les militaires s'appuyait beaucoup sur l'étude des points vitaux. Attaquer les parties fragiles du corps est nécessaire si l'on souhaite une efficacité optimale. Il fallait bien connaître l'emplacement des points vitaux : on utilisait des cartes pour visualiser ces emplacements. En particulier, il fallait que les soldats puissent rapidement localiser les articulations de l'adversaire. Cette forme de travail est intéressante : nous y retrouvons, par exemple, la raison pour laquelle les techniques de mains ouvertes sont exécutées avec le pouce fermé. En effet l'articulation du pouce est très facile à casser. L'étude du corps, des muscles et du système nerveux est un atout majeur. Par exemple, frapper un muscle peut faire perdre de l'énergie à l'adversaire.

G.M. : L'entraînement des militaires est-il aussi psychologique ?
M.K. :
L'entraînement psychologique des soldats passe par l'entraînement physique et par les encouragements. L'entraînement se caractérisait aussi par beaucoup plus de travail à deux. A mains nues et contre armes (couteaux, verre...). On insistait aussi beaucoup sur les techniques de contre, en particulier le Chin Na (clés des articulations). Il fallait réussir à rendre les techniques naturelles pour les soldats, développer leurs réflexes. Les militaires devaient pouvoir réagir directement à une attaque, sans réfléchir. En combat, il faut utiliser ses réflexes... et ceux de l'adversaire.

Merci à Michael Yang pour la traduction.

© Guillaume Morel

 
Ce texte est à l'origine de l'article "Grands Reportages : Au pays des moines guerriers" paru dans le magazine Karate Bushido, numéro 263, Décembre 1998, pages 20-24.

 

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